Ma chère et merveilleuse amie Anne s’est endormie pour toujours, deux jours avant l’éclipse totale de lune. Notre amitié était née il y a 45 ans. Nous nous étions connus dans le cadre d’un concours littéraire que tous les deux, nous avions remporté et le prix était un voyage de trois semaines en France…avec la possibilité d’avoir un billet d’avion ouvert pour un an ! Des vingt gagnants, nous étions les deux seuls à avoir choisi cette opportunité. Avec les per diem que nous donnaient les organisateurs, nous avons acheté une canadienne au BHV et nous sommes partis à l’aventure, en auto-stop, sur les routes de France qui nous ont mené sur celles de l’Espagne, du Maroc, de l’Italie et de la Grèce ! Ce long voyage de deux mois et demi nous a construits. Il a été l’ancre attachée au socle de notre amitié.
Anne était une hédoniste. Elle adorait goûter aux petits-grands moments précieux de la vie et j’en ai partagé plusieurs avec elle et avec les personnes qui comptaient pour elle. Elle était une humaine exceptionnelle et une amie fidèle. Nous nous aimions.
Anne était passionnée, entre autres choses pour la photographie et son oeil savait capter des moments uniques et essentiels. Elle avait suivi des études de Droit et après avoir passé et réussi son Barreau, je lui en ai offert un, en bois, qui provenait d'une chaise trouvée sur le trottoir, en allant la visiter un soir, à Québec, pour fêter sa réussite ! C’est ce jour-là qu’elle m’a présenté l’homme qui allait partager sa vie et avec qui, elle aurait une merveilleuse fille. Elle a toujours conservé ce barreau de chaise dans sa bibliothèque.
Le rire et le merveilleux regard d’Anne vivront en moi et resteront à jamais, ancrés aux parois de mon coeur.
Pour ses 60 ans, je lui ai écrit une poésie en alexandrins, racontant notre voyage de 1980. Il débutait comme ceci:
« Voilà quarante ans déjà, au siècle dernier,
Sur les ruines fumantes d’un référendum
Et notre engouement pour un concours littéraire,
Que nos âmes ensemble se sont mariées.
Pour un vol sans escale. Un bel ultimatum :
Anne et Sylvain vers de nouveaux itinéraires.
Toi, tu avais dix-neuf ans, et moi, vingt-et-un.
Départ au matin, le trois du beau mois de juin. (...)
Et se terminait comme cela:
(…) Au pied de la falaise, la plage s’étendait.
On se baigna, bronza, lut et on mangea peu.
Le gardien du temple racontait, présidait
Un coucher de soleil, chaque soir fabuleux.
On rentre sur Athènes: moi, les fesses brûlées,
Toi, radieuse, prête à t’envoler pour Tel-Aviv.
On évoque l’Inde, on est un peu chamboulés.
Fallait se quitter pour que notre amitié vive. »